Vie et mort des Meusiens déportés
Sur les Pontons de Rochefort en 1794-1795
Par Maurice POTIER, janvier 2010
En 1793, sur le plan religieux, c’en est fini de l’église constitutionnelle. Tous les prêtres de Meuse, même s’ils ont prêté serment sont persécutés ; en avril, un décret stipule que tous ceux qui n’ont pas prêté le serment « liberté-égalité » diffèrent de celui de 1791 devront être embarqués et déportés en Guyane ainsi que ceux qui seront dénoncés pour incivisme par six citoyens d’un canton. Le principe de la déportation est ainsi posé par la convention et les départements vont aussitôt diriger leurs contingents de prêtres vers Bordeaux, puis Rochefort.
Les convois et les étapes :
Chaque convoi partira du chef-lieu du département. Il sera composé d’une charrette, bâchée ou non, pouvant transporter dix à douze personnes. Elle sera suivie d’une deuxième voiture contenant des chaines destinées à prévenir une éventuelle tentative de révolte ou d’évasion. Le convoi sera escorté par des gendarmes à cheval ou des éléments de régiments relayant les premiers en cours de route.
Pour la Meuse, les convois partent de la place St-Pierre à Bar-le-Duc, où le couvent des Carmes a été transformé en prison où attendent les détenus. Seize étapes sont prévues pour atteindre Rochefort, en passant par Saint-Dizier, Chalons-sur-marne, Meaux, Paris, Orléans, Tours et Poitiers.
Douze convois quitteront ainsi Bar-le-Duc.
(Ici, avec chaque convoi, nous avons la liste complète des « voyageurs », mais je me suis limité à ceux des villages proches de Lerouville ou à ceux qui me paraissent intéressants.)
- Le premier de ces 12 convois, part le 9 Avril 1794, avec neuf prêtres.
- Le 2ème convoi part le 12 Avril 1794, avec dix prêtres.
- Le 3ème convoi part le 13 Avril 1794, avec dix prêtres.
- Le 4ème convoi part le 15 Avril 1794 et fut le plus important, avec vingt déportés, dont : MOUZIN DE ROMECOURT Alexandre, né en 1720 à Bar-le-Duc, ancien Jésuite. Chanoine de COMMERCY insermenté. Déporté sur le WASHINGTON, mort le 22 Août Ile Madame ; NEOPHIT Joseph dit Josse, né en 1754 à Bouquemon (Moselle). Fils de Rabbin incarcéré à Bar-le-Duc (simple curiosité).
- Le 5ème convoi part le 16 Avril 1794, avec huit déportés, dont : MONET Jean-François, né en 1751 à Menil-la-Horgne, curé de Méligny-le-Grand. Vicaire épiscopal de Nancy .Constitutionnel, Accusé d’aristocratie. Déporté sur le Washington Libéré. Curé de Jouy-sous-les-côtes en 1803 , mort en 1804 ; TABOUILLOT Nicolas, né en 1754 à Bar le duc – curé de Méligny-le-grand. Serment avec restriction – Déporté sur les Deux-Associés – Mort le 23 février 1795. BEATIFIE oct. 1995
- Le 6ème convoi part le 22 Avril 1794, avec dix déportés, dont : BRIGEAT Claude-Alexandre, né en 1743 à COMMERCY, curé de Ligny Docteur en théologie – Serment avec restriction – déporté sur les Deux-Associés. Libéré ; MERCIER Jean-Claude-François, né en 1749 à Raon-l’Etape, Vosges. Curé d’Euville. Constitutionnel. Certificat de civisme. Déporté sur le Washington. Mort le 4 octobre 1794 – Ile Madame.
- Le 7ème convoi part le 5 Mai 1794 avec dix déportés, dont : HENRION Jacques – Né en 1719 à Vignot-Capucin à Charmes (Vosges) Arrêté comme fanatique dangereux ayant troublé la commune de Commercy Déporté sur le Washington. Mort le 24 octobre 1794 – Ile Madame ; DEFOUG Jean-Augustin né en 1756 à VIGNOT Curé de L E R O U V I L L E Constitutionnel. Certificat de civisme. Suspect pour avoir repris ses fonctions. Déporté sur les DEUX-ASSOCIES. Libéré. Curé de BOUCONVILLE, mort en 1843.
- Le 8ème convoi part le 3 Juin 1794 avec dix déportés, dont : BONNAIRE Claude, né en 1736 à Flavigny-sur-Moselle (M.M). Bénédictin de St-Avold (Moselle). Certificat de civisme – Pas serment. Réfugié à COMMERCY. Déporté Deux-Associes. Mort le 8 septembre 1794. Ile Madame ; DIDELOT Claude-Joseph, né en 1722 à Longchamps-sous-Chatenois (Vosges) –Capucin de COMMERCY – Pas serment égalité – Déporté sur les Deux-Associés, mort le 30 août 1794 Ile Madame.
- Le 9ème convoi part le 5 Juin 1794 avec dix déportés.
- Le 10ème convoi part le 17 Juin 1794 avec dix déportés, dont : GRANDCOLAS Pierre, né en 1734 à Nancy, carme de St-Mihiel, arrêté pour avoir dit la messe à MECRIN. Déporté sur Deux-Associes. Mort 6 sept 1794 Ile Madame.
- Le 11ème convoi partit le 21 Juin 1794 avec dix déportés.
- Le 12ème convoi partit le 25 Août 1794, avec seulement quatre déportés.
Les Meusiens survivants furent libérés en février 1795 avant les prêtres des autres départements, grâce à un arrêté du 30 janvier, sur les instances d’un membre du comité de sûreté générale, Jean-Baptiste HARMAND, de Souilly.
En résumé, sur 121 déportés, 88 sont morts dont 1 à l’aller et 1 au retour. 33 ont été libérés. (44 étaient insermentés ou avaient prêté serment avec restrictions.)
De plus, 7 autres prêtres meusiens ont été déportés par d’autres départements : 3 ont été libérés, 4 sont morts dont :
RICHARD Claude né en 1741 à LEROUVILLE (Meuse).
Bénédictin de Saint-Léopold de Nancy – Déporté sur les DEUX-ASSOCIES
Mort le 9 Août 1794 Enterré à l’ile d’AIX.
Béatifié le 1er octobre 1995.
La vie sur les pontons de Rochefort
Un navire, les DEUX-ASSOCIES, est aménagé pour recevoir les premiers déportés. Son commandant est le citoyen Jean-Baptiste-René LALY (âgé de 28 ans, de forte corpulence, brutal et cruel, il est le type du geôlier implacable.) Il surveille, personnellement le recrutement de son équipage qu’il veut à sa ressemblance. Son second est l’enseigne VILLECOLET dont la férocité devint légendaire.
A partir du 11 avril 1794, l’embarquement commence dans la rade de l’île d’Aix. Vers la mi-juin, un second bateau, le WASHINGTON entre en service, alors que les déportés qui continuent d’arriver, de la Meuse, de la Meurthe et des Vosges en particulier sont consignés sur le BONHOMME-RICHARD, bateau hôpital réservé jusque là aux soldats et marins galeux, avant d’être dirigés sur le Washington, sur lequel il fallait monter à l’aide d’une échelle de corde. Terrible épreuve pour les estropiés qui sont la risée des matelots. Sa cargaison assurée, le navire alla jeter l’ancre près des Deux-Associés. Plus tard, un troisième bateau, l’INDIEN rejoindra les deux premiers.
On attend alors les ordres de Paris Tous ces prêtres doivent, en effet, être déportés, mais où ? On a parlé de la Guyane, mais la flotte anglaise croise au large des côtes françaises, impossible de traverser l’Atlantique. On envisage Madagascar, puis la Barbarie (à cette époque région délimitée par la côte ouest de l’Afrique : Maroc, Mauritanie) mais la flotte anglaise est toujours au large des côtes françaises. Aucun départ n’étant possible, certains révolutionnaires tentèrent donc l’extermination du clergé prisonnier par les privations, la faim et la maladie.
Les Deux-Associés et le Washington qui passèrent dans l’histoire sous le nom de « Pontons de Rochefort » étaient deux trois-mâts de cinq à six cents tonneaux, de 30 mètres de long et dix de large, à fond plat, construits pour le transport de marchandises, avec une cale, puis un entrepont relié au pont par une écoutille. Genre de navire, qui, pendant la 2ème moitié du XVIIIème siècle, servait à la traite des noirs, activité dominante du port de La Rochelle. A partir du huitième convoi, les déportés meusiens furent embarqués sur les Deux-Associés.
Montés sur le bâtiment après avoir été fouillés, on les dépouillait de tout ce qu’ils avaient encore, ne leur laissant que quelques pièces de vêtements : une chemise, une culotte, un mouchoir. L’un d’eux, Claude Rollet écrit après son retour : « on avait tout perdu : les livres, nos chapelets, il nous était même interdit de remuer les lèvres pour prier ». Les déportés des Deux-Associés connurent les supplices les plus affreux.
A bord des Deux-Associés, les déportés connurent un supplice plus affreux que ceux du Washington, le pourcentage des décès atteindra 80%, il sera de 52% sur l’autre navire.
Les déportés passaient la nuit dans la moitié de l’entrepont qui faisait 12 mètres sur 11, avec une hauteur maxima de 1m80. Et ils étaient là jusqu’à 471 , pour chacun, un volume d’un demi mètre cube environ, serrés les uns contre les autres, en une masse de chair haletante, engluée de sueur, sans aération, dans l’obscurité. Le matin, on désinfectait ce cachot en jetant deux boulets chauffés au rouge, dans un tonneau de goudron, alors que les prisonniers, restés là au moins une heure, étouffaient, toussaient.
Un jour, Gibert, le Cdt du Washington se plaignit à son collègue Laly des deux-associés que ses prisonniers ne mouraient pas assez vite. Celui-ci lui répliqua : « C’est que tu ne sais pas les enfumer comme il faut ! »
Claude Rollet écrit : « Cette fumée produisait sur nous un effet de violence extraordinaire, provoquait une toux qui allait souvent jusqu’au vomissement, excitait la transpiration et donnait des battements de cœur, avant coureurs de la mort. Pour la nuit, des baquets étaient installés pour les besoins des déportés qui devaient, dans l’obscurité, ramper sur leurs confrères pour les atteindre (les certificats médicaux ont signalé des incontinences d’urine et des débuts de dysenterie chez certains, déjà à leur départ pour Rochefort).
Comment ces déportés vivaient-ils leurs journées ?
Au matin, sortant de l’entrepont, ils passaient sans transition d’une atmosphère brûlante à une brise souvent très fraiche et ils étaient parqués là pendant une douzaine d’heures, sous le soleil, le vent, la pluie, avec les balancements du navire.
Tous les jours, raconte Claude Rollet, une dizaine d’entre nous devaient porter sur le pont et jeter à la mer les immondices de la nuit, contenues dans six grands baquets très pesants. Il fallait monter une échelle de douze degrés. La moindre oscillation couvrant d’ordures celui qui montait en dessous.
Et pour nourriture : pain de seigle véreux, soupe de gourgane mal cuite, parfois un peu de morue durcie dans du vinaigre. Des déchets de viande. Ils devaient manger debout, dix par dix autour d’une gamelle. L’eau était infecte. Les récipients destinés aux déjections servaient à mettre la nourriture.
Ils étaient menacés d’être fusillés ou mis aux fers, pour simplement avoir été surpris de prier. Ils se lavent à l’eau de mer, ainsi que leurs vêtements, qui en séchant, conservent le sel, irritant encore plus la peau déjà attaquée par les poux. Ils passent d’ailleurs grande partie de leur temps à en faire la chasse.
Une fois qu’ils sont tassés dans l’entrepont, l’équipage pisse sur eux par les écoutilles.
Résignés, c’est pendant cette période atroce qu’ils prennent la résolution de rédiger un code de conduite pour le jour où les survivants reprendront vie dans un monde apaisé. C’est l’abbé Labiche de Reignefort qui laissera ces résolutions d’un portée morale élevée, mais c’est beaucoup plus tard qu’elles seront consignées par écrit, en voici, seulement les extraits de quelques grandes idées :
- ils regarderont comme un défaut de résignation, les moindres murmures ;
- ils éviteront de se livrer à une joie immodérée lorsqu’ils apprendront la nouvelle de leur liberté ;
- ils recevront sans se plaindre ce qu’on voudra bien leur rendre de leurs effets ;
- ils ne satisferont point les curieux et leurs vaines questions sur leur route ;
- ils se comporteront avec la plus grande modération et sobriété dans les auberges ;
- arrivés dans leur famille, ils ne montreront point trop d’empressement à raconter leurs peines ;
- ils se condamneront au silence le plus sévère et le plus absolu sur les défauts et les faiblesses de leurs frères. Ne montreront aucun regret de la perte de leurs biens ;
- ils ne feront ensemble, dès à présent, qu’un cœur et qu’une âme ;
- enfin, ils liront de temps en temps ces résolutions pour s’en pénétrer et s’affermir dans la pratique des sentiments qui les ont dictées.
En janvier 1794, le typhus apparaît à Rochefort sur des pontons réservés aux prisonniers de guerre anglais et espagnols. Rapidement l’épidémie s’étend aux pontons des déportés, et en mai, les décès commencent. Le livre de bord de LALY montre que sur son bateau, en juin, chaque jour des prêtres meurent, les équipages hissent le pavois à l’annonce des décès, et on chante la Marseillaise, on crie « vive la république ».
L’épidémie s’étendant, on crée deux hôpitaux flottants, soit deux chaloupes pouvant recevoir, l’une 50, l’autre 60 malades. Elles sont ancrées auprès des pontons. Le transbordement se fait ainsi : les malades sont hissés comme des ballots avec des palans et on les laisse choir lourdement. Aucun aménagement n’étant prévu, ils sont étendus à même le plancher, sans couverture, entassés, baignant dans l’eau et leurs ordures. Les plaies grouillent de vers, l’odeur est intenable, certains malades deviennent fous furieux. Les médecins viennent et s’enfuient et s’en remettent aux infirmiers pris parmi les déportés, car des prêtres se sont offerts pour remplir cet office. Claude Rollet, malade lui-même fut du nombre, entraîné par le vertueux Tabouillot, curé de Meligny-le-Grand, qui entendait fort bien la pharmacie mais qui se sentait déjà très malade.
Avec les chaleurs de l’été, l’infection augmente et les décès également. En juillet, 100 morts dont 88 sur les Deux-associés. Laly rayonne, Gibert est jaloux. Les chaloupes étant pleines, les malades restent dans l’entrepont où la fumigation au boulet rouge achève les agonisants.
La municipalité et les autorités portuaires s’inquiètent et avisent le ministre de la marine. Le 13 juillet, il envoie un médecin pour enquêter. Homme courageux, il vient à l’heure de la désinfection, descend par l’écoutille mais en remonte très vite et déclare : « Ce n’est pas ainsi que l’on traite des hommes, si l’on mettait à cet endroit 400 chiens, le lendemain tous seraient crevés ».
Laly ne s’apitoie pas sur le sort des déportés, mais s’alarme quand ses marins meurent. L’équipage s’inquiète et le Cdt d’armes de Rochefort propose au ministre : « de préparer au plus vite un bâtiment, l’Indien, pour évacuer au moins en partie la cargaison des Deux-associés et de débarquer à l’Ile Madame (alors Ile Citoyenne) les malades des navires hôpitaux. » En cette fin d’août c’est l’horreur, la moyenne est de 12 à 13 morts par jour, et la contagion frappe les équipages, sauf les officiers. Dans les cales, ce ne sont que gémissements et hurlements. Un exemple horrible, celui de ce prêtre infirmier qui avec un morceau de bois, tente de nettoyer les plaies de monsieur Menertrel, chanoine de Remiremont, dévoré par les vers.
Dès le début de l’épidémie, les inhumations eurent lieu dans l’Ile d’Aix. Parmi ces morts, on note François Andoir, curé de Montiers-sur-Saulx, Lombal, curé de Sivry-sur-Meuse et aussi, bien sûr Claude Richard le Lérouvillois. Arrivés sur la terre ferme, on s’achemine vers le bourg, on longe les remparts jusqu’à l’anse de Tridoux, on creuse les tombes, au pied du moulin à vent, dans le sable au milieu des genêts ; on y dépose le corps nu, sans croix ni signe religieux, ni aucune inscription.
Deux cents treize prêtres furent ainsi inhumés, leurs ossements sont actuellement dans la crypte de l’église.
Le 18 et 19 août, on transporte les passagers valides des deux affreux navires à bord de l’INDIEN. Ce bateau est commandé par le Lt de vaisseau Boivin, homme plus âgé et humain, son second, Pierre Bonhan est jeune et généreux et le médecin Pierre-Jean fait tout pour enrayer l’épidémie. Sitôt qu’un déporté présente les premiers symptômes, il est conduit à l’Ile Madame sur laquelle sont installées des tentes réservées aux soins des malades.
Le 21 août, tous les passagers des Deux-Associés sont à terre, car on semploie à nettoyer le bateau, à « le parfumer ». Certains de ces malheureux disent qu’ils semblent revivre à la vue d’un papillon, d’un oiseau ou d’une fleur tellement des choses aussi simples avaient disparu de leur mémoire. À l’Ile Madame, c’est la quasi liberté, on peut se promener en priant si on n’est pas malade, mais la nourriture est précaire, les plus valides recherchent et rapportent, moules, huîtres, escargots, fruits sauvages comme les mûres
D’un rapport général daté du 28 août, il ressort que :
- sur les DEUX-ASSOCIES, sur 497 déportés, 245 sont morts et 144 malades ;
- sur le WASHINGTON, sur 265 déportés, 20 sont morts et 36 malades ;
- du 21 août à fin septembre, sur 164 débarqués, 72 sont morts.
Quant aux équipages, on compte 37 décès pour les Deux-associés, 92 sur le Washington et 21 sur l’Indien. Ordre a été donné demployer beaucoup de chaux vive.
On apprendra avec retard que Robespierre a été guillotiné, et que la Terreur allait peut-être prendre fin. Les déportés connurent des mois d’hiver rigoureux avec moins 20 degrés, une trentaine moururent de froid, mais l’espérance d’une prochaine libération les réconfortait, ils récupérèrent des bréviaires, on vint enquêter sur eux. Blutel, homme modéré de la Convention, facilite l’accès d’amis et de parents auprès des condamnés et fit arrêter des terroristes de la Société populaire, et surtout, le 5 décembre, l’officier de marine Seguin, témoin des supplices endurés par les déportés attire l’attention de l’assemblée, par une longue lettre qui décrit minutieusement tout ce qu’ont dû supporter les malheureux. Le 8 décembre, c’est le protestant Elie Thomas, témoin des mauvais traitements subis par les déportés qui écrit, lui aussi à l’assemblée.
Le 24 frimaire (14 décembre), LALY, le Cdt des Deux-Associés hué à la séance de la société populaire, avait dû fuir sous les cris de : « tueur de prêtres » et extorqua à ses prisonniers, une lettre où ses victimes déclaraient qu’il ne les avait maltraitées que « forcé par les circonstances impérieuse des temps ». Les déportés refusèrent ensuite de délivrer de ces sortes de certificat. À la demande des officiers du port de Rochefort, Laly sera relevé de ses fonctions le 16 avril 1795, personne ne voulant plus servir avec lui. Il ne put jamais reprendre la mer et mourut dans la misère à St-Martin-de-Ré en 1838.
Le 27 décembre 1794, le pouvoir ordonne le transfert à Xantes (Saintes) des prêtres des deux bateaux maudits, venus jeter l’ancre à Port-de-Barques. Trois navires arrivent de Bordeaux, se rangent côte à côte auprès des premiers, et, sous l’œil bienveillant des équipages et malgré la présence de Laly, les ecclésiastiques se parlent et des visites sont autorisées. Tout est prêt pour diriger 300 détenus sur Saintes, or le 14 janvier 1795, le froid est tel que tout transport par eau ou par terre est impossible. Situation dramatique !! Heureusement, le 27 janvier, le dégel permet la reprise des opérations : 32 Meusiens, et 95 autres, sont libérés par une lettre du 31 janvier, ils prennent la route par Poitiers. Les Meusiens, souvent des jureurs, doivent cette mesure aux demandes de particuliers influents dans les municipalités. Il reste encore 245 autres détenus à mettre sur les routes du retour.
L’étape est longue, à pied ou dans quelques charrettes, les municipalités exhortent les populations à être bienveillante envers ces malheureux. Est-ce nécessaire ? Les habitants, surtout les femmes et le clergé constitutionnel, réunissent par charrettes entières, lits, chaises, matelas et vêtements. Devant de bons feux ces hommes peuvent se laver, éliminer les parasites et changer de linge. On rase, on coupe les cheveux et les médecins s’affairent. Quelle joie de pouvoir enfin parler à cœur ouvert après ces mois de souffrance.
Malgré les difficultés de ravitaillement et la grande pénurie, la charité des citoyens est admirable ! Saintes est devenue la plaque tournante de la libération. Bien que la liberté du culte soit interdite et toute cérémonie impossible, certains curés, pourront, pendant leur longue période repos, dire la messe avec discrétion, se rétablir et retrouver un peu d’énergie. À partir du 14 avril 1795, les routes de France pourront être à nouveau parcourues, en sens inverse par un nombre réduit de prêtres retournant dans leur village, ou simplement dans la famille, avec deux chemises, quelques mouchoirs, un peu de nourriture et 206 livres d’assignats pour les frais de route. Ils quittent leurs bienfaiteur avec grande émotion, et le cœur plein de reconnaissance. Par gratitude, ils chargent un de leurs confrères de l’exprimer en leur nom par une affiche qui sera apposée sur les murs de la ville « C’est pour nous un devoir sacré de vous témoigner notre reconnaissance pour tous vos bienfaits » affiche conservée par la ville de SAINTES.